samedi 22 janvier 2011

ÉPOPÉE DES TROUBADOURS (700 à 1400)

LA PITTORESQUE ÉPOPÉE DES TROUBADOURS
Ces idées qui résonnèrent dans les temples qui nous ont guidés à travers l’histoire de l’antiquité sont déjà loin derrière nous. Les théâtres en plein air de la civilisation hellénique ont disparu dans le néant. Voici venu le moment de nous détourner des couvents des premiers siècles chrétiens, pour examiner un nouveau mode de vie.

L’Europe se voit menacée de toute part : au sud, l’Islam, au nord et à l’ouest, les Normands ; à l’est les Huns, les Tartares et les Slaves ; tous veulent envahir et subjuguer ce coin de terre mal défendu.

La figure des prêtres s’efface peu à peu devant les hommes d’armes qui prendront la direction de la nouvelle Europe caractérisée par la constitution de la « féodalité » et des ordres de « chevalerie ».

Les arts – et avec eux la musique –ont toujours été le miroir fidèle de l’époque dont ils sont issu. Par conséquent, il est manifeste que ces changements politiques fondamentaux entraînent une transformation radicale sur le terrain artistique et musical.

La mentalité du chevalier établira bien des différences de celle du prêtre… Si tant est que la piété de l’homme d’armes demeure tout de même profonde, marquée par la crainte d’un règlement de comptes, même après la mort! Enfin, des intérêts d’ordre profane n’en vont pas moins se profiler à l’avant-plan. Ce seront : l’amitié, les vicissitudes guerrières, spleen, doléance, abattement, les aventures dans les contrées lointaines, le dépaysement, l’exotisme, et aussi toute la gamme des histoires d’amour qui finissent bien ou qui tournent mal; romances, complaintes, aubades, ritournelles…

Ces thèmes régenteront la vie du chevalier, qui les chantera et voudra les entendre chantés autour du feu de camps ou dans la grande salle de son château, durant les longues soirées d’hiver, en famille, ou entre amis…

D’ailleurs, le « château fort » domine les terres environnantes, surveillant routes et cours d’eau; protégeant les humbles chaumines des serfs, timidement blotties dans l’ombre.

Un chevalier errant vient demander asile et, pour lui faire honneur, on convie tous les nobles vassaux du fiefs. Le soir, alors qu’il a depuis longtemps déposé son épée, le chevalier  prend sa lyre, la petite harpe qui le suit partout dans ses pérégrinations. Les hommes écoutent, captivés, tendus, car les chevaliers chantent le plus souvent les exploits qu’ils ont vécus, les épreuves qu’ils ont traversées, : combats et croisades, beauté des femmes d’autres peuplades, couronnement, noces solennelles dans une demeure, trahison ou trépas sur le champs de bataille, fidélité éternelle jurée entre amis, mystérieux philtres d’amour, philtres d’oubli, tournois, victoires ou défaites…

Les dames, vêtues de leurs plus beaux atours, écoutent avec une attention encore plus soutenue que les chevaliers car un monde inconnu, insoupçonné, s’ouvre devant elle.

À mi voix, le chanteur déclame son poème, chanson de geste, tantôt parlé, tantôt chanté… Lorsqu’il s’arrête, tard dans la nuit, la fille du château lui tend une fleur rare et il s’estime récompensé!

Voilà le début d’une nouvelle ère qui appelle à la découverte de l’inconnu et qui favorisera cette époque de courtisanerie. Ici, ritournelles et aubades se prêtent au jeu.

Beaucoup d’éléments se mêlent dans ces suites de chants : airs populaires du pays d’origine du ménestrel qui les exécute; mélodies de toutes les contrées visitées par le chanteurs et les musiciens, en Occident, comme en Orient.

Ces chants nouveaux s’envoleront aux quatre vents d’Europe ; peut-être les Bardes, les Celtes, de véritables chanteurs/musicien/conteurs professionnels… Alors en furent-ils les initiateurs ? Ils avait été les anciens prêtres de l’Irlande, du Pays de Galles, et de la Scandinavie, avant d’entreprendre leur longues randonnées ; chroniques vivantes, ils relataient tout ce qu’ils voyaient et mettaient en musique les événements dont ils avaient été témoins.

Ces Bardes constituaient une véritable caste de musiciens et comptaient dans leurs rangs des joueurs de harpe, certains honorés du titre « docteur ès musique », obtenu après de longues études et de sévères examens.

Ils se réunissaient tous les trois ans pour décerner des grades aux Bardes initiés, variant du simple « apprenti » au « Grand Maître ès musique et poésie ».

Dès le XIème siècle, on rencontre des troubadours dans le Midi de la France. La plupart était des chevaliers, c’est à dire d’allégeance issue d’ordre de chevalerie.

Au début, ils se reconnaissaient la suprématie de l’Église, mais avant peu, les images des saints s’effacèrent devant celles des combats, et le culte Marial fit peu à peu place à celui de l’« amour courtois ».

Peu à peu, le latin fut abandonné au profit de la langue vernaculaire, à la portée de tous.
L’Art poétique et la musique y gagnèrent une nouvelle popularité qui manquait fatalement au chant d’église latin…

Le centre de « ménestrandie » se trouvait en Provence, berceau de la langue d’oc, terre ensoleillée qui abrite toujours Limoges et Toulouse, sa capitale.

En la cathédrale de cette ville l’un des édifices les plus ancien de la France, déjà au XIème siècle et au XIIème siècle, s’organisaient des Jeux Floraux, où la Reine du tournois poétique et musical offrait une fleur à celui qui remportait victoire. Heureux temps où le troubadour se jugeait récompensé d’un an de travail poétique en recevant une fleur d’une blanche main !

Nombre de mélodies des troubadours sont parvenues jusqu’à nous, encore qu’avec des altérations plus que probables… Quoiqu’il en soit, ses ritournelles sont le plus souvent l’expression d’une mentalité noble et élevée ; desquelles le sens de l’action dramatique et un goût artistique très raffiné sont manifestes.

Dans la notation de certaines de ces chansons nous constatons un progrès indéniable ; déjà apparaissent les portées : ces lignes horizontales qui servent à déterminer et fixer la hauteur des notes. Par contre, on ne rencontre aucune indication d’accompagnement vocal ou d’accords. Il faut donc admettre que ceux-ci étaient laissés à la capacité, au style et au bon goût de l’exécutant, ainsi que cela se pratique encore de nos jours pour la musique folklorique…

Troubadours, trouvères, ménestrels, semblent s’être accompagnés sur l’ancêtre du violon, la « giga », sur la « vielle », ou sur d’autres instruments à archet qui firent leur apparition en Europe après que les Maures les eurent introduits en Espagne.

Peut-être connaissait-on aussi les harpes, et sans aucun doute l’apport de quelque percussions, comme le tambourin à clochettes…

Le troubadour se servait-il d’accords, du moins, d’harmonie très pauvres? Assurément, certains pensent… Mais la théorie n’en fait pas encore mention nulle part…

Si dans le Midi de la France, on rencontre des troubadours, dans le nord de ce pays, on les appellera « trouvères ». Le mouvement s’étendit au-delà des Pyrénées, dans toute l’Espagne et le Portugal. Et là, dans cette péninsule ibérique où des airs populaires ont dû exister depuis si longtemps, où, depuis la conquête rabe de 711, l’un des plus intéressants folklores était né, la classe dirigeante s’empara de la musique et produisit des musiciens de haute valeur.

Citons : Alphonse le Sage, roi de Castille et de Léon (1221-1284), poète et compositeur éminemment doué, auteur de célèbres « Cantigas : Don Juan I d’Aragon », qui fonda un institut de musique à Barcelone et organisa, à l’instar de Toulouse, des festivals de poésie et de musique, encore en usage dans plusieurs parties de l’Espagne.

La « Ménestrandie » passa alors de France septentrionale en Flandres et en Angleterre.
Dans ce dernier pays la musique était si intensément cultivée que , des siècles durant, on parlera du « Merry Old England » (la joyeuse Angleterre). Il s’y trouvait même des rois-ménestrels ! D’après une légende célèbre, Richard Cœur-de-Lion, sacré roi d’Angleterre en 1189, fut fait prisonnier à son retour de la Terre Sainte, par son ennemi, le duc Léopold d’Aufort de Durnstein au bord du Danube. Blondel, le fidèle ami de Richard Plantagenêt, partit à la recherche de son roi disparu. Chaque nuit, il s’arrêtait pour chanter au pied d’un château, jusqu’à ce que sa patience fut récompensée : « dans le silence nocturne, la voix de Richard entama le second couplet, sitôt Blondel eut terminé le premier. »

Les chansons de gestes se répandirent également à l’est, dans ces pays que nous appelons aujourd’hui la Hollande, l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche; et où, en ces temps-là, on commençait à écrire en langue germanique.
Si les chevalier-musiciens portaient, en France, le nom de troubadours ou trouvères, de ménestrel en Angleterre, « trovador » en Espagne, en Allemagne on les appelait « Minnesaenger » (chantres de l’Amour), d’après le thème principal de leurs chansons.

Ces Minnesaenger traitaient pour la première fois des vieilles légendes qui devinrent ainsi du coup le nouveau patrimoine d’un peuple en quête d’identité : le chant de Nibelung, qui appartient, avec l’« Edda » nordique et le « Cid » espagnol, aux plus anciens ouvrages de la littérature européenne ; le « Dit » de Tristan et Isolde, de « Parsifal », et du Saint-Graal, thèmes qui reviendront souvent et qui nous occuperont plus particulièrement quand viendra le temps d’aborder l’œuvre de Richard Wagner.

Remarquons ici que Wagner introduira dans son « Tannhäuser » une fête traditionnelle de l’époque de ménestrels : le concours des chanteurs. Le compositeur imaginera de réunir dans le château, la Wartbourg les minnesaenger les plus célèbres, dont : Biterolf, Tannhäuser lui-même, Wolfram von Eschenbach et Walter von der Vogelweide. Cet évènement n’est pas historique en soi, bien qu’une peinture murale de la Wartbourg représente effectivement une scène analogue, datée du 7 juillet 1207.

L’action de l’opéra de Wagner est basée sur un poème du XIIIème siècle, et celui-ci est reproduit dans le plus beau et le plus renommé de tous les chansonniers de l’époque, le « manuscrit de Manesse ».

Par ailleurs, l’opéra suit la légende de Tannhäuser ; en réalité, la vie de ce chanteur fut, on s’en doute, infiniment moins romanesque. Bien que Wagner ne reconstitue pas les événements historiques avec fidélité, son Tannhäuser n’en offre pas moins une image vivante pittoresque du temps de la chevalerie et des chansons de geste.

Cette époque haute en couleurs aura une fin, comme toutes les autres. Les châteaux fort tomberons lentement en décrépitude, leur significat5ion politique ira en diminuant. L’Europe se peuple. L’histoire suit son cours…

Adam de la Halle, surnommé « le dernier des troubadours », meurt en 1287. On lui doit un curieux spectacle musical : Le « Jeux de Robin et Marion », précurseur lointain de l’opéra.



L’anée1305 voit mourir le dernier roi-ménestrel, Wenceslas II de Bohème, dont quelques lieds nous sont parvenus, témoins et précurseurs d’une vie musicale intense sur les rives du Danube.

Avec l’art des troubadours et des ménestrels, nous avons approché de la première brèche pratiquée par l’art populaire dans la musique sérieuse – réaction inconsciente contre le chant grégorien et naissance de la musique européenne. La voie s’ouvre, longue et sinueuse,  vers l’âge d’or du classicisme et du romantisme.




À SUIVRE :

RENAISSANCE  (1400 à 1600)
BAROQUE (1600 à 1750)
ROCOCO (1700 à 1775)

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